SAVERNE GARE

Jeudi 7 juin 2007, 17h10



En cette fin d'après midi, la température est de 28°C, la pression atmosphérique est de 1013,7 hectopascals. Il fait lourd. Le gros chef de gare de Saverne, soufflant, s'avance lentement sur le quai pour assurer l'arrivée du 96253 de 17 heure 13.

Dans le hall de la gare sur le panneau des arrivées ont peut lire :

17h13 TER 96253 de NANCY et correspondance TGV 2509 de PARIS EST
18h20 TGV 2443 de PARIS EST
18h44 TER 30357 de METZ VILLE et correspondance TGV 2831 de PARIS EST
19h15 TER 96265 de NANCY et correspondance TGV 2515 de PARIS EST
19h28 TGV 2633 de PARIS EST
20h15 TER 96267 de NANCY et correspondance TGV 2517 de PARIS EST
21h40 TGV 2583 de NANCY et correspondance TGV 2593 de PARIS EST
20h44 TER 30321 de METZ VILLE et correspondance TGV 2633 de PARIS EST
20h45 TGV 2593 de PARIS EST
21h40 TGV 2583 de PARIS EST


Pendant ce temps là, le gros chef de gare de Saverne, la chemise marquée de grosses auréoles humides autour des aisselles, observe l'arrêt du 96253.

Des passagers descendent.

Une femme descend sur le quai.

Rousse, les yeux d'un bleu glacé, élancée, aux longs cheveux attachés avec une attention toute particulière...
Voila une description qui ne manquerait pas d'un charme particulier, typiquement slave, si le terme glacé n'était pas si approprié.

Vêtue d'une blouse blanche impeccable, visiblement impatiente - elle a du supporter de persistantes odeurs de flammenkueche et de quiche lorsque le train a traversée l'Est de la France - elle part en quête d'un chariot, puis entreprend de récupérer une valise. Puis une autre. Une troisième enfin.

Le chariot ploie sous l'effort, ce qui lui vaut un regard autoritaire de la slave.

Jeudi 7 juin 18h20
La slave a quitté la gare depuis longtemps.

La moiteur écrase encore la gare. Des nuages sombres s'accumulent en arrière plan sur les hauteurs du Haut-Barr.
Les freins du TGV de 18h20 crissent devant les souliers noirs et mal cirés du gros chef de gare affalé, tout à fait irrégulièrement, sur un banc au milieu du quai.

Des passagers descendent.

Jeudi 7 juin 18h43

Les nuages noirs s'accumulent au dessus de la gare de Saverne. Le vent s'engouffre sous les verrières et forme des tourbillons de vieux papiers et des mégots de cigarettes. Le gros chef de gare se dandine davantage qu'il ne coure vers son bureau pour mettre sa veste bleu marine crasseuse. Les lumières automatiques s'allument.

La motrice 15023 entre en gare alors que le gros chef de gare essaie d'attraper maladroitement la seconde manche de sa veste crasseuse.

Brutalement un éclair blanc illumine la montagne. Et le tonnerre craque comme le cri rauque qu'on rale quand on rompt en colère une dispute rageuse.
Il n'y a aucun fonctionnaire sur le quai. Les contrôleur du 30357 vont règlementairement sur le quai pour assurer la sécurité durant l'arrêt du train.

Le gros chef de gare, enfin, avec sa veste, perd sa casquette en essayant de courir vers le quai.

Quels sentiments se partageront les passagers qui descendent du train à la vue de ce volumineux cul penché sur une casquette qui s'envole encore sous le vent de l'orage qui va éclater ?

Jeudi 7 juin 19h17

Des trombes d'eau tombent du ciel. Le gros chef de gare de Saverne demeure immobile sous l'auvent. Il a remonté le col élimé de sa veste. Il n'a plus de casquette pour dissimuler ses cheveux gras et pelliculés.

Le 96265 arrive avec trois minutes de retard. Des passagers descendent.

jeudi 7 juin 19h18

Un homme assez grand, la cinquantaine et à la peau noire descend du train. Il a un sac de voyage dans le dos qui ne semble pas très garni, et tiens un étui à guitare dans chaque main. Ses vêtements sont plutôt quelconque bien qu'un peu vieillots, mais dans un style qui ne semble pas européen. Il s'avance doucement, calmement, profitant de la pluie qui lui coule sur le visage avec un plaisir certain, attitude qui contraste avec la plupart des passagers qui courent se mettre à l'abri le plus vite possible. Au final, l'homme et le dernier des passagers à demeurer sur le quai.

La pluie bat le train avec force, s'écrase sur le sol dans un rythme effréné. Les flaques d'eau, déjà bien formée, émettent un clapotement plus rond, plus doux que le bitume claquant sèchement sous les gouttes. Le toit débordant sur le quai abrite quelques fumeurs qui ne se parlent pas. Mais l'homme a encore du temps. Il s'assoit sur un des bancs, pose ses guitares avec attention à ses côtés, et dégaine une pipe qu'il bourre de tabac d'un geste prompt et maitrisé. Il gratte une allumette et alors que s'échappe la première bouffée, son pied se met à taper doucement sur le sol. Il entonne de sa voix grave the sky is crying, discrètement et pour lui même, tout en regardant le train s'enfuir en hurlant d'une voix stridente.

"... Can't you see the tears falling down the street..."

Qu'il est bon de prendre son temps lorsque l'on est attendu.

Jeudi 7 juin à 19h28.

L'orage semble s'apaiser. Mais il pleut encore fort.
Le gros chef de gare de Saverne a trouvé une casquette. Il pense que celle-ci lui donne une constance. Elle est trop petite pour sa grosse tête boursouflée. On dirait un plat à tarte sur un cochon gras.

Le TGV 2633 entre en gare précisément à l'heure prévue.

De nombreux passagers descendent.

Ajustant sur son dos un sac alliant contenance et praticité, une femme descend d'un pas alerte du wagon qui s'est arrêté. Elle jette un regard au ciel et secoue légèrement la tête avant de se hâter à l'abri du hall de gare. D'âge moyen, elle porte un gros pull en laine vierge et un pantalon large de type treillis de couleur kaki. Le tout accompagné d'une paire de chaussures de marche solides. Ses cheveux roux frisent encore plus sous l'humidité et sont entortillés en un chignon sommaire dans lequel est piqué un crayon de papier.

Elle sort une feuille plié de sa poche et après avoir essuyé une goutte sur son front lit ce qui est écrit dessus.

19h30. Du dernier wagon du train, un homme un peu bedonnant s'extirpe de la porte. Son énorme sac à dos bloque, et il tombe en avant en déchirant une bretelle. Se rattrapant, il tire sur le sac jusqu'à ce que celui-ci se décoince d'un coup, lui tombant dessus. Les deux tombent emmêlés sur le sol, dans un bruit de feraille cassée.

L'homme se relève, regardant autour de lui pour voir si quelqu'un a remarqué ce qui s'est passé. Il prend aussitôt l'air totalement sûr de lui, comme si tout était volontaire et sous contrôle.
Se penchant à nouveau dans le train, il sort une valise aussi grosse que le sac à dos. Puis il se dépêche autant que possible de mettre les deux à l'abri de la pluie. Avisant un chariot porte bagage, il hisse la valise puis le sac dessus, et se dirige vers l'intérieur de la gare.

Une fois à l'abri de la pluie, il fouille un peu dans le sac et en sort un ustensile plein de fils, avec un petit écran et un clavier qui semblent récupérés d'un téléphone. Il l'allume, et pianote un peu dessus. Un nuage de fumée s'en échappe, et l'écran s'éteint brutalement.

Avec un soupir, il se rapproche donc de l'accueil pour demander un plan de la ville. Heureusement l'hôtel ne semble pas trop loin. Prenant son courage à deux mains, et un bagage dans chaque, il se prépare à braver la pluie pour courir vers sa destination. Enfin si le poids de ses bagages le permet.

La femme a replié soigneusement la feuille, jeté un oeil à l'extérieur de la gare pour constaté qu'il pleut toujours. elle secoue à nouveau légèrement la tête et sort finalement du bâtiment pour rejoindre l'adresse convenue. cela ne doit pas être loin de toute façon.

Il est facile d'obtenir l'information : l'hôtel de l'Europe est dans la rue face à la gare, à moins de 200 mètres.

Jeudi 7 juin 20h15.

Le gros chef de gare de Saverne a bricolé un cerclage avec un bout de cable électrique, autour de son soulier, pour tenir sa semelle qui se détache. Il a teinté le cable électrique jaune avec du feutre noir pour rendre l'ensemble plus discret. En vain.
Assez satisfait de son astuce, il est sur le quai, bien à l'heure, pour assurer l'arriver du TER de 20h15.

Des passagers en descendent, relativement peu nombreux.

La pluie a cessé.